Tout
objet nécessite des ressources et de l'énergie
pour sa fabrication. Une fois l’objet fini,
diverses ressources seront encore consommées
durant son exploitation. Dans le cas du voilier, elles
peuvent être importantes : avitaillements
divers, maintenance et entretien du bateau. A cela
s’ajoutent les infrastructures qui découlent
directement ou indirectement de la pratique de la
voile : installations portuaires, déplacements
de l'équipage, gestion des déchets …
Chaque facette du problème
a son importance et il s’agit de phénomènes
ayant des interactions et dépendances multiples
et complexes. Au niveau du voilier, le concept énergétique
et la gestion des déchets sont des postes importants
dans un cahier de charges qui intègre des critères
de qualité environnementale et de développement
durable.
1 Energie
1.1 Energie de propulsion
Si traditionnellement l'énergie
nécessaire à l'avancement du voilier
est fournie par le vent, le voilier moderne fait de
plus en plus appel à la propulsion mécanique.
Sur un programme de croisière hauturière
cette part est de 5-20% des distances parcourues alors
qu'en cabotage cette part atteint facilement 35% et
typiquement 50-70%!
Pour illustrer ce constat par des
unités usuelles : notre voilier de 11m
marchant au moteur à 6nd de moyenne en consommant
2.5 litres/heure aura une consommation spécifique
de 25 litres/100km ! Même en naviguant le trois
quarts des distances sous voiles, cette consommation
reste encore élevée à plus de
6 litres/100km équivalent terrestre.
Fig. 3 : comparaison de l’écobilan
de 10'000 milles nautiques parcourus à la voile
pure ou au moteur pur pour une unité de voyage
de 11 mètres
La comparaison est basée sur
les paramètres suivants:
Voile = Voilier hauturier de 11 mètres
grée en sloop, 70m2 de voilure au près
Moteur = Motorisation diesel in-board de 35 chevaux
consommant 2.5 l/h pour une vitesse de 6nd
Commentaires:
Le budget écologique de la
fabrication d'un gréement classique est supérieur
à celui d'une motorisation mécanique
(voir point de départ des lignes pleines).
Cette différence initiale en défaveur
du gréement est absorbée au bout de
seulement 700 milles de distance parcourue!
Contrairement à une idée
reçue, la voile nécessite également
des ressources en raison de l'usure et le renouvellement
des différents composants (en particulier gréement
courant et voiles). Ce budget est toutefois faible
et représente 3 fois moins par personne transportée
que pour parcourir la même distance en train
ou en car.
A budget énergétique
(NRE) équivalent, on peut couvrir 8'000 milles
à la voile pour seulement 1'000 milles au moteur.
La vitesse, donc la performance,
du bateau pour une puissance propulsive donnée
a une grande incidence sur le bilan d'une propulsion
mécanique alors que le bilan de la voile n'est
que peu influencé (faible pente de la courbe).
Si l’idéal serait un
voilier sans moteur auxiliaire, la configuration actuelle
de nos ports et la recherche de commodités
à bord, rendent le recours au moteur pratiquement
incontournable. Nous savons que pour polluer moins,
il est nécessaire de consommer moins. Un premier
groupe de réponses vise à améliorer
l’efficacité énergétique,
le deuxième la substitution des énergies
fossiles par des énergies renouvelables, le
troisième la sobriété.
Photo (c) peter gallinelli 2004:
plaisir à la voile au large des îles
Lofoten - Norvège
La propulsion électrique ouvre
la voie aux deux premiers groupes:
Sur une unité utilisée pour des sorties
occasionnelles, un simple panneau photovoltaïque
(ou une prise de quai) suffit pour charger une batterie
de traction capable d'assurer quelques manoeuvres
de port et alimenter les équipements de navigation
modernes et éclairages de cabine et de navigation
à LED qui demandent peu d'énergie.
En revanche, l’unité
de croisière, généralement plus
équipée, va demander une plus grande
autonomie énergétique. Le poids, la
taille et la gestion écologique du parc de
batteries deviennent alors un facteur limitant et
le recours à une source d'énergie d'appoint
deviendra rapidement incontournable.
a) Efficacité
énergétique
Dans le premier groupe de réponses
qui visent l’amélioration de l’efficacité
énergétique, on peut alors citer:
- La pile à combustible.
D’un rendement élevé, elle permet
de produire du courant électrique à
partir d'hydrogène ou d'un carburant classique.
A l'heure actuelle, cette technologie reste encore
au stade de laboratoire (2006).
- Le générateur
à micro turbine. De poids ‘plume’,
cette génératrice produit de l’électricité
avec un rendement intéressant. Elle est adaptée
aux très grandes unités avec des besoins
constants et plus élevés (> 20kW).
- Le moteur Stirling,
d’un rendement élevé et d’un
fonctionnement silencieux qui convient à
la production de force mécanique et de chaleur
(co-génération).
- Les progrès en électronique
de puissance permettent de réaliser des systèmes
de contrôle, de régulation et de gestion
énergétique adapté
aux besoins de puissance (quelques kW) d'une unité
de plaisance. Grâce à ces technologies
les systèmes cités ci-dessus peuvent
être exploités de façon optimale.
- Qu'il s'agisse d'une propulsion
classique ou électrique, par le choix d'hélices
à fort rendement. Si une petite
hélice bi-pale a un rendement de 15-20%,
l'efficacité d'une hélice multi-pale
à grand diamètre peut atteindre 60%
à 70% et permet de tripler, voir quadrupler
l'énergie convertie en poussée utile.
Si cette hélice est rétractable ou
se met en drapeau, l'incidence sur la performance
à la voile reste négligeable.
b) Energies
de substitution
Des possibilités de substitution
de l’énergie fossile par des énergies
renouvelables sont:
- L’installation de panneaux
photovoltaïques et d’éoliennes
capables de couvrir les besoins électriques
usuels (navigation, éclairage). En revanche
leur production est insuffisante pour assurer l’énergie
de propulsion.
- L’hydrogénérateur
produisant du courant électrique lors de
la navigation sous voiles.
- Dans le cas d’une propulsion
hybride qui consiste à associer
un propulseur électrique à un parc
de batteries et une source de courant d'appoint,
une grande autonomie énergétique est
possible en se servant du propulseur pour la régénération,
permettant la recharge d'un parc de batteries dimensionné
pour manoeuvrer au port, se déhaler dans
le tout petit temps ou se sortir d'un mauvais pas...
tout en faisant fonctionner les équipements
de vie à bord.
Du coté terrestre, on peut
citer le recours aux biocarburants
synthétisés à partir de produits
agricoles. Il s'agit d'exploiter indirectement l'énergie
solaire par le biais de la photosynthèse qui
convertit le CO2 atmosphérique en carbone hydrogéné.
Ce procédé naturel, propre aux végétaux,
possède cependant un très faible rendement
et si techniquement cette filière est au point,
elle risque à grande échelle d'engendrer
des monocultures intensives pour n’assurer qu’un
pourcentage de la demande. Elle peut être cependant
intéressante dans une politique de diversification
d’approvisionnement énergétique
et possède l’avantage d’être
compatible avec toute motorisation existante.
c) Sobriété
énergétique
Une troisième groupe de réponses
part du principe du litre de carburant ou de kWh non
consommé étant l'énergie la plus
propre – non pas en passant par des systèmes
techniques lourds et complexes, mais en évaluant
le cahier de charges à la baisse. On parle
alors de sobriété énergétique.
1.2 Energie 'confort'
Qu'il s'agisse de chauffage, climatisation,
assistance force en tout genre en passant par propulseurs
d'étrave, guideaux électriques, winchs
et enrouleurs motorisés; la part des équipements
dit de confort ne cesse d'augmenter, annulant souvent
les efforts louables des fabricants d'améliorer
l'efficacité de leurs produits.
S'y ajoutent les équipements
empruntés à la vie terrestre: aspirateur,
four micro-ondes, fer à repasser, machine à
laver... tous ces équipements ont leur utilité.
Leur point commun est d'engendrer le besoin d'une
source d'énergie. Equipements de production
divers doivent fournir de l'énergie en temps
utile et sont, au delà des ressources consommées
pour leur fabrication, fonctionnement et entretien,
bien souvent source de pollution acoustique pour l'équipage
et le voisinage.
Si tout le monde n'envisage pas de
revenir au "lampe torche et jerricane d'eau potable
de 20 litres", le passage à l'eau sous
pression illustre parfaitement la portée d'un
choix d'apparence anodine provoquant une réaction
en chaîne: consommation augmentée, besoin
de réservoirs plus grands ou d'escales d'avitaillement
plus fréquents. Alors le choix d'un équipement
de dessalement s'impose, nécessitant à
son tour de l'énergie pour son fonctionnement,
un facteur de plus en faveur de l'installation d'un
groupe électrogène...
Le même constat se vérifie
lors de l’installation d'un congélateur
qui réclame une haute disponibilité
en énergie, nécessitant souvent de faire
fonctionner un moteur thermique à intervalles
réguliers. Cependant, des méthodes traditionnelles
de conservation existent (séchage, confiture...)
et de nombreux produits frais peuvent se stocker sans
grande difficulté à condition d’avoir
prévu des rangements adéquats.
2 Gestion des déchets
2.1 Déchets solides
Toute personne qui a passé
quelques jours à bord d'un voilier sait que
la gestion des déchets est un véritable
enjeu. Quand on manque d'une possibilité de
dépôt à terre pendant quelques
jours, odeurs et volume à stocker posent vite
des problèmes. Un endroit aménagé
spécialement pour le stockage des déchets
est souhaitable. Cet endroit doit être suffisamment
grand, aéré sans occasionner de gêne
et permettant l’accueil de plusieurs conteneurs
pour le tri. On peut regretter que les infrastructures
portuaires ne soient pas toujours à la hauteur.
Le véritable problème
se pose en grande croisière où l'on
est coupé du monde pendant de longues périodes.
La charte MARPOL spécifie ce qui peut être
rejeté et à quelle occasion. L'incinération
dans un four prévu à cet effet constitue
une autre voie d'élimination qui, au vu des
méthodes de gestion des déchets dans
certains pays, reste une solution acceptable.
La manière la plus efficace
de gérer ce problème reste cependant
de ne pas embarquer de potentiels futurs déchets
et de privilégier des produits présentés
sous emballage simple ou réutilisable. Une
bouteille vide peut retourner à sa place, une
boîte de conserve nettoyée et démontée,
les restes de nourriture (à priori biodégradables),
principale source d'odeurs, stockés dans un
récipient étanche ou confiés
au milieu naturel si les circonstances le permettent.
2.2 Effluents:
eaux grises et eaux noires
Du côté des effluents
de toilette et de salle de bains, les odeurs et la
gestion sont un problème récurrent.
Hélas, une micro station d'épuration
à l'échelle d'une unité de plaisance
n'est pas encore d'actualité. Reste la solution
(obligatoire en Europe et dans de nombreux autres
pays) du stockage des effluents à bord associé
à une infrastructure terrestre pour le pompage
et le traitement. Au-delà du critère
écologique, c'est une question de respect pour
le milieu, souvent naturel, dans lequel nous nous
invitons et pour les autres usagers. L'augmentation
de la fréquentation ne fait qu'accentuer le
problème et les usagers devraient être
les premiers à être concernés
par des eaux de ports et de mouillages aux couleurs
et odeurs suspectes et souvent non-baignables. Pour
être efficaces, ces installations, à
bord et au port, doivent être exécutés
avec beaucoup de soin en utilisant des matériaux
et composants adaptés et de très bonne
qualité.
Et dans tous les cas, des produits
de vaisselle, lessive et savons divers doivent être
choisis biodégradables à 100%.
3 Voilier écologique?
- Le voilier 'éco' sera de
dimension adapté au programme réel
de navigation, simple et embarquant le strict minimum
de technique.
- Le choix des matériaux
et du système constructif se fera en fonction
du programme, des ressources locales et d'une analyse
de cycle de vie approfondie.
- Il sera équipé des
rangements nécessaires pour une gestion efficace
des déchets et effluents.
- Les ‘options confort’
seront réduites au minimum au profit de solutions
passives (sans assistance technique).
- Une plus grande part de réflexion
revient à l’architecture propre :
dessin de carène, performance, optimisation...
C'est un voilier performant et maniable, procurant
plus de plaisir et de vitesse à la voile
qu'au moteur (!).
- C’est l’avenir de
la voile pure et non pas de la voile assistée.
Ce voilier sera en mesure d'offrir
tout le plaisir de la voile, du voyage et de la découverte,
à condition de laisser sur le quai habitudes
et idées reçues terrestres.
Et, en soi, le voilier constitue
déjà une sorte de micro-écosystème
dont les limites matérielles, taille, capacité…
donnent la mesure d’une gestion des ressources
nécessairement parcimonieuse. C’est précisément
sur ce point que les systèmes autarciques ont
une longueur d’avance sur les systèmes
connectés aux réseaux terrestres.
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