La
tendance est de classer les matériaux de construction
de façon très binaire en 'bons' et 'mauvais',
souvent avec une interprétation de l'écologie
quelque peu romantique et sans véritable fondement
scientifique ou objectif. Cependant, l'évaluation
des qualités techniques, environnementales
et sanitaires ne peut être réalisé
qu'avec une méthode d'analyse multicritères
et ne peut se limiter à une seule considération.
Ainsi, le caractère 'naturel' d’un produit
ou d'un matériau n’en fait pas nécessairement
un produit plus respectueux de l’environnement
ou plus sain...
Production - choix constructif
Généralement, le choix du système
constructif, donc du matériau, se pose dès
le premier stade du projet; c'est un sujet qui suscite
débats et passions et se trouve largement influencé
par l'expérience de récits et d'idées
reçues ou, plus pragmatiquement, inspiré
par un cahier de charges soigneusement élaboré
(production à l'unité ou en série,
taille, programme de navigation...).
Pour illustrer l'impact de ce choix sur le plan écologique,
le tableau ci-dessous donne un aperçu des analyses
de cycle de vie (ACV, voir définition
ci-dessous) pour différents matériaux
d'un voiler hauturier de 11m, pris à titre
d'exemple.
Ces tableaux tiennent compte de la différence
des systèmes constructifs découlant
du choix d'un matériau, donc de poids d'un
système à un autre et des différences
de leur durée de vie. Le coût de la maintenance
est également comptabilisé. Seulement
le bilan de la coque 'nue' a été pris
en compte; les aménagements, finitions et équipements
sont supposés identiques. Les hypothèses
de calcul sont génériques et pourront
différer pour un projet réel.
Fig. 1: Energie non renouvelable (NRE) pour 7 systèmes
constructifs
1) Acier
2) Alliage alu sur membrures et lisses
3) Alliage alu épais
4) Fibre de verre - polyester monolithique
5) Bois époxy
6) Bois bordé classique
7) Ferrociment
Produits d'entretien,
rénovation maintenance
Produits indispensables à
la protection
Matériaux constituant
la structure et l'enveloppe
Fig. 2: Potentiel de réchauffement climatique
en équivalent CO2
1) Acier
- lourd
- maintenance et entretien élevé
+ bon recyclage
2) Alliage alu sur membrures
et lisses
3) Alliage alu épais
- facture énergétique et de CO2 élevée
à la production
+ peut se passer de protection et finitions (valeurs
sur le graphique finition alu brut)
o recyclable sous conditions : les valeurs sur le
graphique s'entendent ALU-BRUT et AVEC recyclage en
fin de vie (sans quoi le bilan devient un véritable
désastre)
4) Fibre de verre - polyester
monolithique
- impossibilité de recyclage (déchets
spéciaux)
- résines et solvants dangereux pour la santé
et l'environnement
- fibres de verre dangereux pour la santé
- possède un bilan au-dessus des autres systèmes
courants
5) Bois époxy
6) Bois bordé classique
- l'origine des essences peut poser de sérieux
problèmes (bois exotiques)
- ressources limitées en bois indigènes
adaptés à la construction navale
- coût écologique de maintenance et d'entretien
élevé (zone orange)
- impossibilité de recyclage (pollution du
bois par traitements -> déchets spéciaux)
+ la production en essences indigènes favorise
la reforestation et peut engendrer un bilan de dioxyde
de carbone* négatif par 'fixation' du CO2*
atmosphérique; dans le cas de bois importés,
cet avantage est pondéré par l'énergie
nécessaire au transport
7) Ferrociment
- poids et énergie englobée importante
Discussion
Photo (c) peter gallinelli 1998:
chaudronnerie Intégral 12.50 au chantier Dujardin
Poids et optimisation
Le bilan écologique étant proportionnel
à la quantité de matériaux investi
dans la construction, tout diminution de poids a un
effet positif immédiat sur le bilan, mais aussi
sur les performances du bateau, permettant d'améliorer
la charge utile ou de réduire la taille du
gréement, du mouillage... et de la motorisation
éventuelle.
Le dicton 'Trop lourd n'a jamais manqué' peut
devenir un sérieux handicap pour la performance,
le budget et le bilan écologique. Mieux vaut
soigneusement optimiser, que ce soit au niveau de
l'architecture propre du voilier que de ses équipements
et l'armement. La sobriété du plan visant
à supprimer le superflu est une qualité
de tout point de vue.
Origine des matériaux
Quelles sont les conditions d'exploitation, énergie
dépensée pour leur transport et leur
transformation? A matériau identique, les différences
peuvent être importantes en fonction de l'origine
et des filières suivies avant d'arriver sur
le chantier.
Qualité sanitaire
Respect de la santé des ouvriers et utilisateurs;
inutile de rappeler la toxicité des durcisseurs
et catalyseurs présents dans les résines
et peintures modernes. Ce sont aussi des solvants
très nocifs pour l'environnement. Les pigmentations
peuvent contenir de fortes quantités de métaux
lourds. Certains fabricants proposent des produits
à base de solvants et de résines dites
'naturelles' adaptés principalement aux finitions
intérieures. Toutefois qui dit 'naturel', ne
dit pas encore exempt de toxicité (les poussières
de bois sont des irritants et allergéniques
en puissance).
Durée de vie (structure,
finitions, équipements)
Un produit bien conçu, adapté à
son usage, permettant une maintenance aisée
et des mises à jour éventuelles, possède
naturellement une durée de vie plus longue
qui lui permet de mieux 'amortir' son investissement
sur le plan écologique et souvent aussi économique.
Toutefois, garantir la longévité d'un
composant peut nécessiter des traitements et
finitions supplémentaires ayant un 'prix' écologique.
Fin de vie et recyclage
En particulier l'acier et l'alliage d'aluminium méritent
qu'on s'y intéresse dès la conception,
car ce sont des matières avec un important
capital d'énergie emmagasiné pouvant
être valorisé dans un nouveau cycle de
vie. Ceci permet surtout à l'alliage léger
de 'rembourser' une lourde dette d'énergie
et de CO2.
Faut-il encore qu'un certain nombre de critères
soient réunis afin que cela soit possible:
Les composants doivent être facilement démontables
et séparables. Notamment les traitements de
surface et peintures posent de gros problèmes,
en particulier sur les coques en alliage en raison
de la difficulté technique, donc du coût,
à reconstituer des alliages de qualité
à partir d'une matière recyclée
polluée. Une coque en alliage d'aluminium devrait
rester brute, à l'extérieur comme à
l'intérieur.
Le point noir des composites réside justement
dans leur difficulté, voir l'impossibilité
de séparation, donc de recyclage. Si la construction
'polyester' et composites apparentés sont connus
pour leur coût écologique très
élevé, les techniques modernes du bois
(bois-époxy, strip-planking...) ne posent guère
moins de problèmes et seront très souvent
à classer en déchets spéciaux
en raison de la part élevée de colles,
d'imprégnations et de peintures de protection.
Le bordé classique en essences indigènes
(chêne, mélèze) possède
un bilan écologique intéressant; l'utilisation
d'une ressource renouvelable encourage la plantation
de forêts pouvant fixer du CO2 (il ne s'agit
pas de tronçonner des chênes centenaires!).
Mais quel plaisancier accepte encore le coût
et la charge d'un entretien par des moyens traditionnels?
Conclusion
Nous constatons que les adjectifs légèreté,
sobriété, qualité contribuent
tout naturellement au sens du voilier comme machine
passive performante ET à optimiser le bilan
écologique.
Le plus grand potentiel d'économie réside
sans aucun doute dans l'élaboration d'un cahier
de charges rationnel et raisonnable (une tâche
qui n'est pas nécessairement à la portée
de l'amateur) et, dans certains cas la mise en cause
de la décision d'acquisition ou de construire
même.
Hélas, l'étiquette écologique
est en passe de devenir un simple argument de vente,
souvent lié à un prix de vente plus
élevé. Mais, gardons-nous de nous faire
manipuler par des stéréotypes et idées
reçues: La démonstration ci-dessus montre
bien qu'une construction 'bois' qui véhicule
facilement une étiquette 'écolo', n'est
pas nécessairement plus respectueuse de l’environnement
ou plus 'saine' qu'une construction conventionnelle
bien gérée. Seulement une analyse exhaustive,
objective et sérieuse permet d'évaluer
l'impact réel d'un choix donné.
DEFINITION: L'Analyse
de Cycle de Vie (ACV)
Pour pouvoir connaître les caractéristiques
environnementales d’un matériau, il est
nécessaire d'étudier son cycle de vie
dans sa globalité, de l’extraction des
matières premières jusqu’à
sa fin de vie:
INPUT
- matières premières
- énergie
- eau
- air
CYCLE DE VIE
Extraction des matières premières
Fabrication, transformation
Transport, emballage, distribution
Exploitation, réutilisation, maintenance
Recyclage
Gestion des déchets
OUTPUT
+ Produits
+ Coproduits
- Emissions
- Effluents
- Déchets solides
* * *
(*) CO2 = dioxyde de carbone, agent impliqué
dans l'effet de serre et le réchauffement climatique
pg nov 2004
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