Imram 2008 - IV


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De Skye (Dunvegan) à Oban
mardi 12 août au mardi 19 août

Notre équipage se réduit à 5 équipiers: Peter, Rob, Christine, Jean-Luc et Alessandro. Le départ, très matinal, de Dunvegan se fait au moteur, pas de vent 'so far'... quel contraste avec la veille! Le but de cette étape n'est pas sans importance pour celui qui entreprend son premier voyage en Ecosse: il s'agit de la visite d'une distillerie de renom; celle de Talisker (trad. la roche en pente), elle se trouve à une vingtaine de milles.
Le vent s'étant levé nous faisons route maintenant à la voile... des falaises, encore des falaises. Comme tous ces derniers jours nous ne nous lassons pas d'observer les plongeons des Fous de Bassan qui effectuent des piqués spectaculaires sur leurs proies et disparaissent durant de longues secondes sous l'eau.


Instruction: endrailler la drisse du foc...

Nous doublons maintenant les Mac Leod Maiden's, curieux pics rocheux détachés de la côte dont la forme évoque bien des silhouettes féminines avec de grandes robes à l'ancienne.


Mac Leod Maiden's sur la côte sud de Skye

Tourmenté par les falaises et les montagnes alentours le vent prend maintenant les caractéristiques lémaniques que nous connaissons bien: il n'arrête pas de refuser, d'adonner, de mollir, de nous gratifier de quelques risées... La navigation perd ses caractéristiques marines pour entrer dans un registre plus lacustre lorsque nous pénétrons dans le long et étroit loch Harport, il nous mène vers la distillerie avec dans le fond un panorama sur les Cuillins, sommets rouges et noirs dont la roche est le vestige d'un ancien volcan. Nombreux virements de bord au ras de la côte, subtil jeu à la barre pour profiter au maximum des risées, pour remonter le plus dans la direction qui nous intéresse... whisky en vue!

Lors de la visite de la distillerie Talisker, nous découvrons les différentes étapes de la production à la consommation du whisky Talisker. Le malt c'est le nom donné à l'orge germée, séché à la tourbe ("peat" en anglais) qui donne au whisky son caractère, puis mélangée avec de l'eau.


Eaux tourbeuses

Et, ensuite, la précieuse 'uisge beatha' (prononcé ouisq-àh-bah) eau de vie, ou whisky est distillée (laisser couler goutte à goutte) deux fois et seul le 'coeur' de ce breuvage sera mis en fût.

Lors du viellissement dans des fûts de chêne, la porosité du bois des fûts laisse s'évaporer une partie des liquides, appelée "la part des anges". Ainsi, les anges récupèrent une part substantielle du contenu, si bien qu'après 20 ans de stockage il en reste moins que la moitié. A raison des milliers de litres fabriqués chaque année, ça finit par faire une sacrée quantité... serait-ce l'explication aux nombreux survols bruyants de la "Royal Air Force" dans la région? Les pilotes viennent ils humer la part des anges? ou viennent ils les chasser?

'slainté mhath' (prononcé slansh-àh-vat = santé)

Les journées se raccourcissant, nous décidons de repartir avant la tombée de la nuit pour un mouillage dans le minuscule port naturel de l'île de Soay. Au matin, nous partons pour Loch Scavaig, sur la côte sud de Skye, en pénétrant dans le Loch na Cuilce nous observons une colonie de phoques, certains assoupis sur les rochers vont interrompre leur sieste.



Colonies dans Loch na Cuilce

Au pied des Cuillins, nous jetons l'ancre, le mouillage est entouré de magnifiques sommets; les esprits s'impatientent et certaines jambes ont hâte de crapahuter sur ces sommets.


Le mouillage dans Loch na Cuilce, au pied des Cuillins

Christine et Jean-Luc choisissent de s'aventurer dans la lande autour des rives du Loch Coruisk, un écrin au coeur des Cuillins Hills,



Loch Coruisk

tandis que Rob, Alessandro et Peter décident de chercher un chemin vers le sommet de Sgurr nan Eag.
Après une descente plutôt rythmée du sommet, Peter nous racontera:

"Très vite, nous gagnons en altitude pour nous retrouver parmi myrtilles et baies, installés parmi les éboulis et gros blocs de pierre. De fil en aiguille, nous finissons sur un col, puis sur un premier sommet, puis un 2ème, et un 3ème... Le temps est splendide et on voit à 100km à la ronde, toutes les îles de l'Écosse: fantastique!

Depuis le sommet, nous voyons aussi notre mouillage. Je jette un premier coup d'oeil et me dis: il y a un truc qui cloche: en effet, Imram ne semble plus se trouver à l'endroit où nous l'avions laissé. Je regarde encore une fois, le voilà en train de joyeusement partir à la dérive, tout seul, sans personne à bord: pu.... de meee...! Mais il n'y a rien à faire! Et le voilà qui s'approche déjà des rochers, et boum: touche!

Une rafale catabatique violente a fait déraper l'ancre. J'informe mes compagnons que je vais courir pour rejoindre la côte au plus vite... et je cours déjà vers le fond de la vallée, 1000 mètres plus bas, en désescaladant les barres rocheuses, en glissant dans les pierriers, en survolant ruisseaux et marécages... pour arriver 45 minutes au plus tard au bord de l'eau.

Hors de vue pendant ma descente, je m'attends au pire; je sais qu'Imram est très solide, mais il y a des limites... J'arrive au pas de course, transpirant, essoufflé, sur la dernière butte, pour voir qu'Imram... s'est trouvé des amis d'une vedette de passagers qui l'ont remis à sa place: OUF!!! Je saute dans l'annexe et vais retrouver notre ami en aluminium. Toute notre gratitude ira vers ces gens du pays qui étaient là au bon moment et qui n'ont pas hésité une seconde à faire ce que j'aurais fait si j'avais été à leur place."

Après nous être remis de nos émotions, une inspection révèle que les deux safrans ont ragué sur le rochers. Heureusement, car ceci a amorti le choc et protégé la coque d'autres dégats. Les safrans, conçus comme pièce d'usure, ont fonctionné à merveille. La fin de la journée sera consacrée à faire du collage, du mastic et de la résine afin de recoller les morceaux arrachés et de redonner une forme convenable aux profils des safrans. Les conditions pour faire du composite sont idéales: il fait sec (soleil) et la température est agréable.



Plus de peur que de mal; Alex et Peter au composite

Peu à peu, tout rentre dans l'ordre. La nuit tombée, Peter prend un bain dans un ruisseau pour se défaire des sueurs froides et chaudes de la journée. Un cri originel retentit dans la vallée: c'est Alex qui s'est installé sous une cascade d'eau fraîche!

Toute la nuit, le vent continuera à souffler en rafales, mais l'ancre tient bon cette fois et le matin suivant nous mettons cap sur Eigg, provisoirement avec un safran, l'autre étant en train de durcir dans la cabine. Nous profitons de la même occasion pour réparer et repeindre les sièges de barreur qui sont à présent joliment peints d'une couleur grise antidérapante - pratique, non?

Quelques milles au moteur nous feront découvrir une île étonnante au nom d'Eigg ("Eige" en écossais). Le petit village sur la pointe sud-est de l'île est dominé par une imposante pointe en roche volcanique à la forme d'un pain de sucre, "An Sgùrr", 392 m, le point culminant de l'île.


An Sgùrr sur l'île de Eigg

Une excursion terrestre nous fera découvrir une forêt aux couleurs et senteurs presque tropicales, suivi de quelques champs fraîchement fauchés qui nous rappellent le parfum d'été de Genève,


Ferme sur Eigg

pour finir dans la lande, bruyères et la fougères si typiques de l'écosse, où broutent quelques moutons isolés (ces mêmes moutons qui à force de manger tout ce qui pousse ont peu à peu transformé l'écosse en désert).

Cette île champêtre et accueilllante contraste si fortement avec notre dernier mouillage au caractère alpin, rocheux... austère. Nous nous y sentons très bien et finirons la journée par un excellent dîner dans le seul petit restaurant de l'île qui sert aussi d'épicerie bio, douche, internet-café... suivi d'une nuit reposante, amarrés à un solide corps mort.

Une journée de navigation de petit temps et crachin, en longeant la côte, nous fait gagner le nord du Sound of Mull.


Alex, Peter, Jean-Luc et Rob...

Nous décidons de chercher un mouillage pour la nuit dans Loch Suart. Ce fjord est parsemé de haut fonds, rochers et îles, il est très sauvage. Malgré un château, visiblement hanté, il n'y a que quelques petites maisons appartenant aux pêcheurs. Le reste est forêts d'épicéas, bruyères et rochers. Le tout, dense et sombre, enveloppé dans un début de nuit brumeux et humide. Avec la dernière lumière du jour nous franchissons une passe étroite et parsemée de rochers, une belle nav délicate, ne laissant que quelques centimètres sous la quille.

Nous voici donc une fois de plus loin du monde habité, dans le calme le plus complet, sans lumière, ni bruit, ni réseau, ni gaz. Au menu du soir un délicieux émincé de porc avec ratatouille et polenta, cuits sur le poêle. Nous fêterons cette soirée en ouvrant la belle bouteille d'Humagne. Un régal!!!

A 5h du matin nous devons quitter notre mouillage afin de resortir de notre abri avec la marée; à présent nous avons 3m de marnage et les hauts fonds sont franchissables seulement à la pleine mer... après un reste de sommeil et un petit déjeuner, nous voici en route pour Oban, escale pour racheter des vivres, du gaz et du pétrole qui nous manquent depuis hier, et de laisser partir Christine avec le bus.


Sound of Mull

Alors que nous cherchons sans succès des bonbonnes de gaz compatibles avec le système installé à bord, le soleil nous gratifie d'un magnifique coucher dont les couleurs mettent en valeur les jolie maisons bordant le port.


Oban, Écosse

La soirée se passe dans une sympathique taverne où certains se délectent d'un délicieux "haggis", LA spécialité culinaire  écossaise: la fameuse "panse de brebis farcie". Le lendemain tôt, c'est le départ de Christine pour Genève: nouveau poste de travail.... on croise les doigts pour qu'elle y arrive à l'heure.. son voyage de retour est minuté juste juste...

Un grand dilemne se pose alors à l'équipage restant : restons-nous un jour supplémentaire à Oban pour tenter encore de trouver du gaz dans un autre magasin qui sera ouvert seulement lundi? ou acceptons-nous de boire et manger froid les jours qui suivent ? en effet lorsque le vent souffle trop fort, le poêle du bord ne peut être allumé sans risque d'asphyxie ... La journée et les prévision s'annonçant bonnes nous décidons de partir... au diable le confort!

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The Imram Voyage 2008 - Integral 12.50 - ACAPELA, 2008
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